Veille en design sur les capteurs et leurs applications dans le domaine du divertissement – et en particulier dans le domaine du jeu urbain.
Cette veille est structurée en deux parties :
Veille réalisée dans le cadre d'un atelier de design numérique à l'ENSCI – Les Ateliers en partenariat avec la société CityZen (octobre 2010).
Le document synthétique est téléchargeable et consultable en ligne depuis le site Scribd.
Gleyze J.-F., 2010. Veille sur les capteurs et leurs applications dans le domaine du divertissement. Veille réalisée dans le cadre d’un atelier de projet de design numérique à l’ENSCI – Les Ateliers, Paris, 32 p.
URL : http://fr.scribd.com/doc/209762133/Les-capteurs-et-leurs-applications-dans-le-domaine-du-jeu-et-du-divertissement
Les lignes qui suivent présentent une réflexion autour du jeu urbain et des opportunités offertes par les capteurs pour imaginer de nouvelles interactions et de nouveaux scénarios de jeu.
Cette réflexion s'appuie sur la veille présentée dans cette page et ont été le point de départ du jeu Le Choix des Armes développé dans le cadre d'un atelier de design numérique à l'ENSCI – Les Ateliers en partenariat avec la société CityZen à l'automne 2010.
Les développements combinés des jeux vidéo et des interfaces numériques et la popularité des jeux grandeur nature ont favorisé l’émergence d’une nouvelle typologie de jeux appelés « jeux urbains ». Ces jeux reposent sur la volonté des joueurs de projeter le terrain de jeu dans le monde réel, de créer une interaction sociale en partageant l’expérience du jeu et enfin de s’immerger dans le jeu en s’impliquant physiquement.
Pour autant, les jeux proposés aujourd’hui intègrent mal ces différents critères : bien souvent, le jeu apparaît comme plaqué sur le monde réel, l’interaction entre les joueurs se réduit à une juxtaposition d’expériences de jeu, et l’immersion sensorielle dans le jeu est entravée par une interface-écran omniprésente et bien souvent limitée à la géolocalisation du joueur.
Dans ce contexte, nous proposons de repenser le jeu urbain en inscrivant l’espace urbain dans la narration du jeu, en intégrant l’ensemble des joueurs dans une plateforme multiplayer, et enfin en développant l’aspect sensoriel du jeu grandeur nature par la prise en compte d’informations captées sur les joueurs et sur leur environnement.
Les jeux urbains s’inscrivent à l’intersection de deux pratiques du jeu :
L’apparition des smartphones en 2007 a permis aux capteurs d’investir le domaine de la rue et de faire se rencontrer ces deux pratiques. Chez le joueur, le smartphone cumule les potentialités d’un téléphone, d’un ordinateur connecté à Internet, d’un GPS et d’une Wiimote, et rend ainsi possible le développement du jeu urbain.
En prenant part à un jeu urbain, le joueur :
Participer à un jeu urbain répond donc à trois attentes du joueur :
Les jeux urbains que nous avons décrits dans notre travail de veille apportent des réponses à ces attentes, mais ne proposent pas de scénario intégré dans lequel les trois entités du jeu (l’environnement, le joueur et l’interface de jeu) s’articulent harmonieusement.
Les problèmes que nous avons identifiés concernent chacune de ces entités.
Ces problèmes posent la question de la pertinence de la ville comme terrain de jeu.
Les jeux urbains sont des jeux de plateau ou des jeux vidéo calqués dans la ville
Les jeux urbains consistent souvent à « plaquer » des jeux existants (jeux de plateau, jeux de vidéo) dans un environnement urbain, sans prendre en compte les spécificités du monde réel et plus particulièrement de la ville. Les jeux urbains de type labyrinthe sont identiques à leurs homologues sur console, à ceci près que le personnage du smartphone est animé non pas par l’action d’un joystick, mais par les mouvements réels du joueur dans les rues de la ville (par exemple le jeu GPS Alien Attack).
L’environnement urbain intervient principalement en tant que décor du jeu
Tel un arrière-plan, l’environnement urbain intervient rarement comme un espace physique avec lequel le joueur peut entrer en contact direct. De fait, nombre des jeux urbains focalisent l’attention du joueur sur son interface (le plus souvent son smartphone), au point de se demander en quoi le fait d’évoluer à l’extérieur apporte au jeu (par exemple les jeux GPS Joker, 7scenes, Meet your heartbeat twin, etc.). On se pose d’autant plus cette question que le studio de jeux urbains XiLabs définit justement le jeu urbain comme un « jeu en ville dont le téléphone mobile est le vecteur ».
Le joueur n’interagit pas avec la ville, mais avec des éléments artificiels (réels ou virtuels) disséminés dans la ville
L’environnement urbain est envisagé comme un terrain de jeu, cependant, les éléments de la ville qui interviennent dans le jeu ne font pas toujours appel au sens de l’observation d’un joueur évoluant dans une ville (ce que l’on serait pourtant en droit d’attendre d’un jeu urbain). A contrario, la ville imprègne le jeu par des codes à scanner, des contenus numériques à télécharger ou des numéros ou sites à contacter (par exemple les jeux Vortex, 7scenes, The target, etc.)
Ces problèmes posent la question de l’implication du joueur au sein du jeu, c’est-à-dire en interaction avec l’environnement de jeu d’une part, et les autres joueurs d’autre part.
Le déroulé des jeux urbains repose sur une narration temporelle inadaptée au monde réel
Les scénarios mis à l’oeuvre dans les jeux urbains exploitent les principes de quête, d’enquête ou de poursuite sans être adaptés à la temporalité du monde réel. Ces jeux restent ainsi dans le registre des jeux vidéos, pour lesquels le fait d’agir vite, de courir, d’enchaîner les actions confère un avantage au joueur (par exemple le jeux GPS Joker). La manière dont la performance et la compétition entre les joueurs sont mises en scène dans ces jeux privilégie la dimension temporelle, inadéquate pour rythmer un jeu dans le monde réel.
Les joueurs évoluent en ignorant le monde qui les entoure
Comme le soulignent (Chalmers et al., 2005) , certains jeux urbains peuvent faire se côtoyer des joueurs sans que ceux-ci interagissent pour autant. Le risque le plus important pour un joueur est de se concentrer sur son écran de smartphone, au point de s’abstraire du monde qui l’entoure.
Référence : Chalmers M., Barkhuus L., Bell M., Brown B., Hall M., Sherwood S., Tennent p., 2005. "Gaming on the Edge: Using Seams in Pervasive Games". PerGames 2005, International
Symposium on Pervasive Gaming Applications, 8 p.
Les joueurs ne sont pas amenés à partager in situ des expériences de jeu
Dans le meilleur des cas, le lien social est intégré dans la conception du jeu urbain au titre d’un « partage d’expérience » (voir par exemple le jeu 7scenes). On peut néanmoins regretter que ce partage consiste pour un joueur à mettre en scène sa propre expérience en différé, et non à vivre une expérience de jeu avec un autre joueur.
Ces problèmes posent la question de la pertinence des capteurs dans l’interface du jeu, tant dans le rôle qu’ils jouent que dans leur mise en oeuvre.
L’intégration des capteurs au jeu met en scène l’accessoire plutôt que le jeu
Les interfaces exploitant des capteurs (très majoritairement des smartphones) mettent en avant l’objet avant de valoriser son usage et son intégration dans le jeu. De nombreux jeux restituent l’information sur l’écran du smartphone, sous la forme d’une carte augmentée de la ville (par exemple les jeux The Target ou GPS Joker). L’écran du smartphone tient le même rôle que l’écran de télé d’un jeu vidéo interactif.
Les dispositifs ne captent que des artéfacts
Les jeux à base de capteur surveillent des paramètres et réagissent lorsque des seuils sont atteints (principe de la Wii). Dans les jeux urbains exploitant la géolocalisation, le système regarde simplement si le joueur est présent ou non dans une zone donnée. Selon ce schéma, la position (resp. la valeur du paramètre) est privilégiée par rapport à la trajectoire (resp. la variation du paramètre).
Les informations captées se limitent aux coordonnées GPS et à des informations textuelles
Dans la majorité des jeux urbains, les informations qui alimentent le jeu sont issues du GPS (au lieu d’évoluer dans un jeu vidéo, le joueur évolue dans la ville) et de scans ou de téléchargements (au lieu d’interroger la console ou l’ordinateur dans son salon, le joueur interroge une base de données à distance).
Nous avons vu que les trois besoins explicites sous-tendant les jeux urbains correspondent au besoin des joueurs d’investir le monde réel, de partager une expérience et de s’impliquer physiquement.
L’analyse que nous venons de faire de ces jeux montre néanmoins que ces besoins ne sont pas appréhendés dans une approche intégrée.
Les points d’innovation du jeu urbain répondent aux limites que nous avons identifiés à cette occasion.
Ces points d’innovation s’articulent autour de l’interface du jeu et les possibilités offertes par les technologies numériques (interaction, captation, transmission, restitution et partage des informations) dans le but de servir la narration du jeu et son intégration à l’environnement urbain.
Le jeu urbain doit être un dispositif ouvert que les joueurs peuvent s’approprier et faire évoluer.
Les conditions nécessaires à cet objectif sont :
Dans ce contexte, le jeu s’adresse à toutes les populations de joueurs, sans limitations géographiques (jeu sans frontières, dans lequel on peut imaginer la dissémination des objets sur toute la planète, à l’image du Geocaching).
Le lien entre les joueurs et les lieux est réalisé par les informations ou les objets (réels ou virtuels) échangés au cours du jeu : le vecteur du jeu n’est pas l’interface sur lequel le joueur s’appuie, mais les informations et les objets qui ponctuent la quête du jeu.
Le jeu est persistant : le joueur peut entrer et sortir du jeu à sa guise, mais le jeu continue de tourner en son absence.
Les lignes qui suivent présentent les pistes que nous avons identifiées autour des points d’innovation.
Narration
Symbolique du labyrinthe : le labyrinthe comme trace à construire ou à suivre (question du mouvement), comme obstacle (question de la visibilité et de l’information), comme coffre-fort (question de la mémoire).
Référence : Wagensberg Jorge, 2010. Natural labyrinths,
cultural labyrinths. Catalogue de l’exposition Per Laberintos, CCCB, Barcelone
Lien social
Les six degrés de séparation. Expérience sociologique de la collaboration entre des individus (cette expérience a permis de démontrer – sous certaines conditions – que deux personnes quelconques de la planète pouvaient être mises en relation par le biais de six connaissances intermédiaires en moyenne).
Référence : Milgram Stanley, 1967. "The small-world problem". Psychology today, numéro 2, p. 60-67
Interaction
Théorie des jeux, dilemme du prisonnier (de l’interêt de collaborer – ou non), communication entre des individus sans métacommunication préalable.
Référence : Watzlawick Paul, 1976. La réalité de la réalité – Confusion, désinformation, communication. Éditions du Seuil, 258 p.
Identifier les ressorts d’un jeu (la narration, l’immersion du joueur, l’intérêt ludique des règles) :
Cette phase de travail doit permettre d’identifier les spécificités des différents types de jeu (capacité d’action du joueur, interaction éventuelle avec les autres joueurs, imaginaire autour du jeu, immersion du joueur, rythme et temporalité, etc.) dans le but de concevoir in fine un jeu permanent multiplayer qui puisse s’intégrer à un environnement urbain.
Utiliser les technologies liées aux télécoms et aux capteurs comme un « liant » entre les différentes entités du jeu.
Cette phase de travail doit aboutir à une typologie des technologies (télécoms + capteurs) susceptibles d’intervenir dans le contexte d’un jeu urbain : description des technologies, informations captées / transmises / restituées, organisation des informations et impact sur le déroulement du jeu, réflexion sur l’impact éventuel d’une information incomplète / bruitée / aléatoire / conditionnelle sur le déroulement du jeu.
Au-delà des informations exploitées dans les jeux existants (coordonnées géographiques, codes 2D, taux de pollution, bruit, rythme cardiaque), cette phase est l’occasion d’envisager d’autres types d’informations, relatives aux joueurs
Déterminer comment le capteur réalise le lien entre les joueurs, l’environnement et le jeu.
Cette phase doit aboutir à des propositions pour l’intégration matérielle du capteur. Parmi les pistes évoquées, une solution textile serait par exemple envisagée pour une expérience de jeu favorisant le geste ; une solution papier serait envisagée pour mettre en valeur l’aspect narratif ou tactile du jeu (par exemple en lien avec la typologie de la carte au trésor), etc.
→ La prochaine phase de ce projet doit conduire à l’élaboration d’une trame de jeu urbain (narration, règles, environnement, interactions, technologies).